Cernées
Notre art dissertatif s'émousse au fil des épreuves - a fortiori lorsqu'on en est à la troisième du concours. Ce dernier a beau être blanc, il parvient tout de même à déteindre sur nos nuits ; conséquence paradoxale : nos yeux se cernent d'un sombre halo, violacé ou gris, selon les personnes. Qu'on aimerait retrouver l'excitation des préparatifs de Noël, qui nous faisait lever - petites filles - de bonne heure, tout en nous laissant vaquer à la toilette minutieuse de nos fimousses rosées par ce froid qui pince les joues...
"Mon premier mouvement, en ouvrant ce matin les yeux, c’est de courir à la glace – dame, on ne sait pas, s’il m’était poussé une fluxion cette nuit ? Rassurée, je me toilette soigneusement : temps admirable, il n’est que six heures ; j’ai le temps de me fignoler. Grâce à la sécheresse de l’air, mes cheveux font bien « le nuage ». Petite figure toujours un peu pâlote et pointue, mais je vous assure, mes yeux et ma bouche ne sont pas mal. La robe bruit légèrement ; la jupe de dessus, en mousseline sans empois, ondule au rythme de la marche et caresse les souliers aigus. La couronne maintenant : Ah ! qu’elle me va bien ! Une petite Ophélie toute jeunette, avec des yeux cernés si drôlement !... Oui, on me disait, quand j’étais petite, que j’avais des yeux de grande personne ; plus tard, c’étaient des yeux « pas convenables » ; on ne peut pas contenter tout le monde et soi-même. J’aime mieux me contenter d’abord..."
Colette, in Claudine à l'école,1900