Episode 6 : Les rats quittent le navire

   Après les affres d'un lycée hanté et l'affrontement final avec la secrétaire de la faculté ("Oh, bonjour ! Pauline L., c'est ça ? Je vous ai inscrite directement en première année de master, c'est quand même plus sympa !", "Ah, euh... Merci. J'ai une lettre de recommandation, si vous voulez..."), Pauline rejoignit son ex-voisine et future coloc' pour l'aider à vider le carrelage de sa parcelle de garage... Le déménagement commençait !

    Au fur et à mesure que l'on exhumait classeurs, paperasses, petits meubles et effets personnels, les années passées défilaient devant nos yeux tour à tour amusés, répugnés ou attendris : marrons collectionés dès la rentrée de septembre, et qu'il fallait à présent jeter, boîtes Ladurée en pagaille, conservées "au cas où" et pour "garder un souvenir" de cet endroit, tant il est vrai que nous n'y allons "pas si souvent, finalement"... mais aussi piles de livres qu'il fallut s'empresser d'aérer suite à leur séjour de deux ans au garage, et moisissures ayant profité d'un recoin humide et hors de notre portée pour s'y développer pleinement, en toute tranquilité. Au final, donc, aucun regret de partir, mais bien plutôt la satisfaction du "bon débarras" - surtout lorsque, une fois la chambre débarassée, nous nous retournons sur ce trou à rat moisi et considérons l'endroit...

  "Quand je m'éveille, ma bouche est ouverte. Mes dents sont grasses : les brosser le soir serait mieux, mais je n'en ai jamais le courage. Des larmes ont séché aux coins de mes paupières. Mes épaules ne me font plus mal.
   Des cheveux raides couvrent mon front. De mes doigts écartés je les rejette en arrière. C'est inutile : comme les pages d'un livre neuf, ils se dressent et retombent sur mes yeux.
   En baissant la tête, je sens que ma barbe a poussé : elle pique mon cou. La nuque chauffée, je reste sur le dos, les yeux ouverts, les draps jusqu'au menton pour que le lit ne se refroidisse pas.
   Le plafond est taché d'humidité : il est si près du toit. Par endroits, il y a de l'air sous le papier-tenture. Mes meubles ressemblent à ceux des brocanteurs, sur les trottoirs. Le tuyau de mon petit poêle est bandé avec un chiffon, comme un genou. En haut de la fenêtre, un store qui ne peut plus servir pend de travers.
   En m'allongeant, je sens contre la plante des pieds - un peu comme un danseur de corde - les barreaux verticaux du lit-cage. Les habits, qui pèsent sur mes mollets sont plats, tièdes d'un côté seulement. Les lacets de mes souliers n'ont plus de ferrets. Dès qu'il pleut, la chambre et froide. On croirait que personne n'y a couché. L'eau, qui glisse sur toute la largeur des carreaux, ronge le mastic et forme une flaque, par terre."

Extrait de Mes amis, roman d'Emmanuel Bove.

       Tout en nous affairant à vider les lieux, nous ressentons bientôt une étrange liberté, que nous attribuons tout d'abord au retour à l'air libre, à chaque fois que l'on sort du garage et traverse la rue ensoleillée pour déposer cartons de livres et autres chargements précieux dans la voiture de Jean-David... Mais il n'y a pas que les effluves de l'été : à chaque nouveau nuage de poussière soulevé par le déménagement, les deux poussines se sentent pousser des ailes d'étudiantes autonomes et capables de bouger par elles-mêmes !

     Du moins, sous le regard bienveillant de notre ami - seul détenteur du permis de conduire et de la voiture qui va avec - qui s'est proposé de tout stocker chez lui en attendant le nouvel appartement...

Merci à notre futur Coloc' !

Comments

[mutuelle complém]

Merci pour ce blog vraiment enrichissant. j'ajoute votre blog à mes favoris. A bientôt.

[???]

Jean-David se verra obligé d'apprendre une brasse-coulée forcée dans cette mer de fortune odorante...Les deux rates se sont sans doute habituées à nager avec courage dans leur navire souterrain, mais qu'en sera-t-il du poussin non moche ?
Il est vrai que tous les souvenirs de ces inoubliables années mouillées devaient à un moment ou à un autre rejoindre une poubelle appropriée à l'exquise netteté de la tanière de Mars toquée. Et c'est vrai : après tout, voous n'alliez pas si souvent que ça remplir vos petites compagnies de macarons: juste assez pour remplir un blog...

[Fork]

Aaaaah, le garage était en fait un bateau !
Tout s'explique maintenant.